Pierre Richard : un grand blond peut en cacher un autre

Créateur d’un personnage lunaire et poétique, Pierre Richard a connu un succès populaire dans les années 1970-80, en signant des films critiquant la société de consommation encore naissante, tout en étant aussi très vite mis en scène par d’autres réalisateurs dans des comédies d’aventures - Yves Robert, Francis Veber, Claude Zidi, Gérard Oury, etc. Parallèlement, Pierre Richard a souvent pris des risques en incarnant des personnages plus inattendus dans des films d’auteurs surprenants.


On a longtemps cru qu’il n’y avait qu’un seul Pierre Richard. Encore aujourd’hui, prononcer son nom engendre chez de nombreux spectateurs français, mais aussi étrangers (notamment en Russie), des souvenirs émus de comédies populaires où la figure excentrique et familière qu’il dessina de film en film, déclenche instantanément le rire.

« Tu n’es pas un comédien, tu es un personnage. » Certaines phrases arrivent à point nommé au carrefour d’une vie. Celle-ci, prononcée un jour par Yves Robert, son parrain de cinéma, sur le tournage de Alexandre le Bienheureux, résonne encore dans la tête de celui qui s’est découvert un jour une vocation en regardant Un fou s’en va t’en guerre (Up in Arms) avec l’Américain Danny Kaye, lui aussi blond aux yeux bleus : « Je me suis dit alors que ce serait le métier de ma vie. »


En produisant le film où apparaît Pierre Richard dans un premier rôle (excepté le rarissime La Coqueluche de Christian-Paul Arrighi), Yves Robert permet ainsi à Pierre Richard de se mettre en scène lui-même. Le Distrait est la première étape de la construction d’un personnage burlesque et lunaire esquissé dans les années 60, aux côtés de Victor Lanoux dans des cabarets parisiens, puis à la télévision, avant d’être ensuite développé à l’écran.


La scène commence place d’Iéna, avec son flux incessant de voitures, qu’essaye de traverser un trentenaire indécis en costume de velours beige, cheveux longs, blonds et bouclés, encombré de plusieurs valises et d’une planche à dessins. A la sortie du Distrait, en décembre 1970, près d’un million cinq cent mille spectateurs font connaissance avec Pierre Malaquet, jeune publicitaire loufoque, inattendu héritier du Ménalque de La Bruyère. Le succès du film lance la carrière de Pierre Richard, qui enchaîne ensuite avec Les Malheurs d’Alfred en 1972 (où la distraction cède la place à la malchance comme principal trait de caractère comique de son personnage, architecte participant à un jeu télévisé), avant de devenir le fameux Grand Blond avec une chaussure noire, inoubliable espion malgré lui. 

Scénariste du film, Francis Veber a trouvé alors son François Perrin, avatar le plus connu de Pierre Richard au cinéma (Le Jouet, On aura tout vu), avec François Pignon, compagnon de route du Campana-Depardieu de la célèbre trilogie entamée en 1981 avec La Chèvre (suivi des Compères et des Fugitifs). Dans toutes ces comédies, comme dans d’autres placées sous le signe du voyage, (La Moutarde me monte au nez, La Course à l’échalote, La Carapate, Le Coup du Parapluie), Pierre Richard a dessiné le corps d’un personnage en déséquilibre constant, parfois désarticulé, à la gestuelle précise, souple et élégante, chutant pour se relever parfois instantanément, un corps mis en danger qu’on a l’impression que rien ne peut atteindre, luttant souvent contre la matière (une cornemuse dans Le Grand Blond…., un hamac dans Les Malheurs d’Alfred). Qu’il soit debout, immobile, oscillant maladroitement, gêné ou animé d’un jeu de jambes inventif comme dans cette chorégraphie poétique et inattendue entamée dans Le Distrait, il est en toutes circonstances le descendant d’une lignée de burlesques de cinéma, un cousin d’Harpo Marx, au visage aussi expressif qui accélérerait le débit d’une parole étonnée plutôt que muette. Tout est question de rythme dans l’évolution de son corps de cinéma, une immobilité entraînant une accélération ou une rupture, entre autres fulgurances comiques.

Pierre Richard a aussi et surtout été réalisateur (7 longs métrages réalisés entre 1970 à 1997), mettant en scène son personnage, utilisant à bon escient le plan large, comme les entrées et sorties de champ, et dénonçant par le biais de la comédie quelques traits saillants de la société de consommation de l’époque : la publicité et la télévision dans Le Distrait et Les Malheurs d’Alfred, et les marchands d’armes dans le féroce Je sais rien mais je dirai tout. Autant d’univers fustigés par l’artillerie du rire, en conflit permanent avec le monde de ses personnages rêveurs et romantiques semblant vivre dans une bulle. Ce contraste singulier sera repris dans le premier long métrage acerbe de Francis Veber, Le Jouet dans lequel son François Perrin se retrouve manipulé par un enfant solitaire et autoritaire.

Un peu plus tôt (1974), Marco Pico mettait en scène l’acteur aux côtés de Philippe Noiret dans Un nuage entre les dents, film singulier et maudit, à redécouvrir, dans lequel son personnage de reporter confondant réalité et imaginaire, montre qu’un autre Pierre Richard existe, exprimant d’autres formes de comédie. Ce sera également le cas des Naufragés de l’île de la tortue où Jacques Rozier a capté comme personne le sentiment de liberté permanent qui émane du corps du comédien. 

Souvent contrebandière à l’intérieur des films, la dimension secrète et mélancolique de Pierre Richard va peu à peu gagner du terrain dans la deuxième partie de son parcours après Les Fugitifs de Francis Veber, réalisé il y a déjà trente ans. L’un des films illustrant radicalement cette tendance est peut-être le tragi-comique En attendant le déluge, de Damien Odoul, en 2005, dans lequel l’acteur interprète un châtelain hanté par la présence de la mort, qui rappelle un Jean-Arthur Bonaventure (le héros des Naufragés…) pris par la vieillesse. A l’instar de Odoul dans un registre précis, de nombreux cinéastes contemporains (Stéphane Robelin, Pierre-François Martin Laval) ont su donner à Pierre Richard des personnages singuliers adaptés à l’évolution du temps, qui, combinés à l’évocation de son passé à travers les spectacles qu’il continue de jouer sur scène, n’ont pas fini de le rendre intemporel.


Bernard Payen


Texte écrit pour la Cinémathèque française en 2016





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