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Affichage des articles du août, 2022

"Les Petites Marguerites", ou l'esprit de l'enfance

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Les Petites Marguerites , le film emblématique des sixties de la République Tchèque époque Printemps de Prague, deuxième long métrage de sa réalisatrice, Věra Chytilová n’a pas fini de livrer tous ses secrets tant il expérimente à chaque séquence. La narration tout d’abord, qui pourrait sembler désordonnée ou incohérente si elle n’était au contraire reliée par de nombreux fils et motifs visuels pour composer le quotidien de deux jeunes filles dont le mot d’ordre serait « dépravation ! » Les ruptures entre les plans sont sources de créativité, et rarement l’abstraction n’aura paru aussi concrète. Les décors, les lieux par exemple, qui paraissent aussi minimalistes que picturaux et stylisés comme cette chambre champêtre où le gazon traverse un lit parsemé de pommes vertes et de feuilles gigantesques. Les plans cut up/collages au sens propre comme au figuré se laissent redécouvrir à chaque vision, tout comme l’inventivité de la bande sonore, ou la créativité du montage. Les Petites Margue

A la grâce de Jane (Birkin)

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Apparition fugace dans le Blow up d’Antonioni tourné en Angleterre, Jane Birkin entre dans le cinéma français à la toute fin des années 60. Son parcours mêle avec aisance comédies populaires et cinéma d’auteur. Egérie de Serge Gainsbourg, elle fut aussi la muse de Jacques Doillon et Jacques Rivette, mêlant humour et gravité dans ses plus beaux rôles. Faire le portrait de Jane Birkin est un exercice difficile que d’aucuns ont déjà réussi brillamment, qu’il s’agisse bien sûr d’Agnès Varda et de son beau film malicieux ( Jane B par Agnès V ) dans lequel la cinéaste émet une première définition de la chanteuse, comédienne et réalisatrice (« la rencontre sur une table de montage d’une Androgyne ludique et d’une Eve en pâte à modeler »), ou encore sur un mode taquin, le groupe français Mickey 3 D et sa chanson Je m’appelle Jane , interprétée en duo: aux questions volontairement clichés du chanteur Mickaël Furnon (« c’est quoi ce vieil accent que tu traînes? »), Jane y répond en vrac qu’elle

Bruno (Nuytten), la nuit...

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Parcours rêvé dans la nuit des films éclairés par Bruno Nuytten, des Valseuses de Bertrand Blier à Manon des Sources de Claude Berri en passant par Marguerite Duras, André Téchiné, Andrzej Zulawski et tant d’autres. C’est l’histoire d’un homme fasciné par la nuit et qui explore le ballet des lumières et des ombres à travers sa vie de cinéma. La nuit fait d’ailleurs partie de son nom, phonétiquement du moins, Nuytten, de son prénom Bruno. Fin des années 60, ce sont les années-formation à l’INSAS, l’école belge, et la rencontre importante avec Ghislain Cloquet, le directeur de la photo ( Tess , Peau d’âne , Mouchette , etc) dont il devient assistant, notamment sur Nathalie Granger de Marguerite Duras (1972). Le film symbolise peut-être la matrice d’une histoire de la vie travaillée de Bruno Nuytten, marquant la rencontre avec Gérard Depardieu et Marguerite Duras, fixant aussi sans doute l’envie définitive d’être directeur de la photographie. Très vite, Bruno Nuytten commence à fair

Alain Jessua : une réalité fantastique

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L’oeuvre méconnue d’Alain Jessua (dix films en soixante ans) a anticipé la réalité de nos sociétés modernes par le biais de discrets décalages fantastiques. A 19 ans, Alain Jessua débute dans le cinéma comme stagiaire sur le film Casque d’or de Jacques Becker avant de travailler plus tard comme assistant sur des films d’Yves Allégret ( Mam’zelle Nitouche , Oasis ) et sutout de Max Ophuls ( Madame de… , Lola Montès ), dont la direction d’acteurs le marque fortement. En 1986, dans un entretien à Positif , il racontera comment il a hérité de sa méthode de direction d’acteurs : « Max Ophuls donnait une priorité absolue à la sensibilité de ses interprètes, même s’il avait déjà une idée précise de son découpage avant de filmer. Ainsi Ophuls répétait toujours sa scène avec les comédiens et modifiait son tournage en fonction de son premier travail. » Alain Jessua , dont la formation cinématographique était, pendant ses dix ans d’assistanat, a priori plus technique, accordera toujours une gra

Jean-Pierre Kalfon, le fugueur

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Hédoniste rock, rebelle et dandy épris de liberté, Jean-Pierre Kalfon a bâti sa propre histoire du cinéma depuis plus de 50 ans. Une plongée en apnée cinéphile en dix films nous permet de (re)connaître ses jalons connus ou méconnus signés Lelouch, Rivette, Marc’O, Gary, Garrel, Schroeder, etc. A quinze ans, Jean-Pierre Kalfon a fugué. Il passa même la frontière, on le retrouva à Bruxelles. Il avait juste besoin d’air. Et cette échappée belle précoce, l’acteur n’a plus cessé de la décliner depuis, au théâtre, au cinéma ou en musique. Sa filmographie est celle d’un aventurier libre, faisant fi des chapelles et des frontières. Le premier vrai beau rôle, Kalfon l’obtient dans Une fille et des fusils (1964). Un Claude Lelouch débutant le fait chef d’une bande d’ouvriers automobiles qui décident de devenir gangsters. Il y révèle sa présence physique habillée de noir, longiligne et souple comme un félin, et sa voix rauque/rock si particulière. Une dégaine singulière que l’on retrouve en tran

Pierre Richard : un grand blond peut en cacher un autre

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Créateur d’un personnage lunaire et poétique, Pierre Richard a connu un succès populaire dans les années 1970-80, en signant des films critiquant la société de consommation encore naissante, tout en étant aussi très vite mis en scène par d’autres réalisateurs dans des comédies d’aventures - Yves Robert, Francis Veber, Claude Zidi, Gérard Oury, etc. Parallèlement, Pierre Richard a souvent pris des risques en incarnant des personnages plus inattendus dans des films d’auteurs surprenants. On a longtemps cru qu’il n’y avait qu’un seul Pierre Richard. Encore aujourd’hui, prononcer son nom engendre chez de nombreux spectateurs français, mais aussi étrangers (notamment en Russie), des souvenirs émus de comédies populaires où la figure excentrique et familière qu’il dessina de film en film, déclenche instantanément le rire. « Tu n’es pas un comédien, tu es un personnage. » Certaines phrases arrivent à point nommé au carrefour d’une vie. Celle-ci, prononcée un jour par Yves Robert, son parrai

Louis Malle, l'aventurier désenchanté

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  Voyage au long cours (40 ans de cinéma entre 1955 et 1995) dans le cinéma de Louis Malle, à travers lequel se dessine le portrait d’un homme inquiet, qui aimait les voyages et l’aventure, travaillé par l’enfance et son milieu social d’origine. Au milieu des années 50, à Paris, une bande de jeunes gens d’une vingtaine d’années avait une soif inextinguible de cinéma. Certains étudiaient à l’Idhec (pré-fémis), d’autres étaient assistants réalisateurs. Parmi eux se dessinait un quatuor amical dont les quatre membres Alain Cavalier, Jean-Paul Rappeneau, Philippe Collin et Louis Malle rêvaient de faire un jour leur premier long métrage. Tous finirent par y arriver mais c’est le dernier cité, enfant d’une famille d’industriels du sucre du Nord de la France, qui arriva le premier sur la ligne d’arrivée. Avec une expérience intrigante, inattendue, celle de coréaliser avec Jacques-Yves Cousteau, un film dans et sur les fonds sous-marins qui, surprise supplémentaire, obtint une Palme d’or à Can

Yves Montand : un acteur...qui nous ressemble

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A l’occasion du centenaire de sa naissance, redécouverte de l’acteur-star Yves Montand, aux multiples facettes, aussi massif que fragile, à travers un parcours d’une vingtaine de longs métrages tournés entre 1946 et 1991. « Il a tout pour plaire ce mec! » L’exclamation de la jeune Roxane (Mathilda May) brune en robe rose est triviale, mais elle a le mérite de nommer une fascination toujours à l’œuvre quand Yves Montand revient à Marseille, la ville où il a grandi. La scène arrive très vite au début de Trois places pour le 26 de Jacques Demy, dernier long métrage du cinéaste, fondé sur la trajectoire de la star. Montand vient d’un pays qui n’existe plus, non pas son Italie natale, mais le music-hall, ce territoire où les hommes chantent, dansent et jouent, à savoir une certaine idée de l’artiste complet. Il incarne aussi le XXème siècle, appartenant à cette génération qui fêta ses dix-huit ans au déclenchement de la deuxième guerre mondiale, connut la guerre froide et son dégel, et la

Félin caméléon, Malcolm Mc Dowell

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Celui qui fut le légendaire Alex de Orange Mécanique et le Mike Travis de la trilogie de Lindsay Anderson ( If… ; Lucky Man , Britannia Hospital ) a su faire de l’ambiguité de son jeu, un art. Comme pour les cinéastes, il suffit parfois d’une image originelle pour que se construise l’élan d’un parcours légendaire d’acteur. Pour Malcolm McDowell, il prend sa source dans un sourire fin, discret, rehaussé par un regard clair et affirmé. Celui de Mick Travis, le personnage qu’il incarne dans If…. juste avant de se prendre une correction par les autorités de cette public school où il s’est rebellé avec plusieurs camarades.  If…. , film fondateur par bien des aspects, qui le révèle au monde à Cannes (Palme d’or en 1969) et scelle le début d’une collaboration fabuleuse avec le cinéaste anglais Lindsay Anderson. Impressionné par le jeu de McDowell, Stanley Kubrick lui propose alors le rôle d’Alex, le garçon sauvage de  Orange mécanique , leader d’un gang de voyous ultra violent, bientôt ar

Claire Denis : les liens fragiles

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En trente ans, Claire Denis a réalisé une oeuvre ouverte sur le monde, où les liens (filiaux, amoureux) entre les êtres humains ne sont jamais acquis, où les corps imposent leur présence avec sensualité, dans des territoires lointains et proches.    La jeune femme conduit une voiture, clope au bec. Elle vient de Lituanie, s’appelle Daïga. Elle a les traits de l’actrice Katerina Golubeva. Daïga vient voir sa tante à Paris, ville théâtre de faits divers violents, où de vieilles femmes sont assassinées chez elles. La conductrice est filmée de profil, elle écoute un vieux poste radio d’où s’échappe une musique aux rythmes afro-cubains. Dans d’autres films, ce plan presque anodin de J’ai pas sommeil , troisième long métrage de fiction de Claire Denis, serait peut-être passé inaperçu. Mais ici, cette image signée de sa fidèle directrice de la photographie, Agnès Godard, devient magique, mystérieuse, mélancolique.  J’ai pas sommeil , au fond, n’est pas ce qu’il devrait être au premier abord,