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"La Dérive des continents (au Sud)" : Le goût de la liberté

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Cinéaste discret, figure importante de la cinéphilie suisse, Lionel Baier est aussi l’un des rares réalisateurs à évoquer directement les problématiques européennes. Depuis 2007, et Comme des voleurs (à l’Est) , il a entrepris une tétralogie autour de l’Europe où les films se répondent sur des questions aussi politiques, mémorielles, qu’intimes. Cela lui a permis aussi d’ouvrir son cinéma vers l’extérieur de la Suisse, tournant aussi bien en Pologne, au Portugal, qu’en Sicile avec ce nouveau film, La Dérive des continents (au Sud) . Tout l’enjeu de ce nouveau long métrage, une fois de plus, consiste à mêler la grande et la petite Histoire. La grande, c’est précisément l’Europe face à la crise migratoire en 2020, en l’occurrence un bateau qui s’échoue avec 64 migrants, et la préparation de la visite d’un camp de réfugiés à Catane pour deux leaders européens surnommés « M and M’s », à savoir Macron-Merkel (!). Nathalie Adler à laquelle Isabelle Carré prête ses traits, est l’officier de l

"Les Petites Marguerites", ou l'esprit de l'enfance

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Les Petites Marguerites , le film emblématique des sixties de la République Tchèque époque Printemps de Prague, deuxième long métrage de sa réalisatrice, Věra Chytilová n’a pas fini de livrer tous ses secrets tant il expérimente à chaque séquence. La narration tout d’abord, qui pourrait sembler désordonnée ou incohérente si elle n’était au contraire reliée par de nombreux fils et motifs visuels pour composer le quotidien de deux jeunes filles dont le mot d’ordre serait « dépravation ! » Les ruptures entre les plans sont sources de créativité, et rarement l’abstraction n’aura paru aussi concrète. Les décors, les lieux par exemple, qui paraissent aussi minimalistes que picturaux et stylisés comme cette chambre champêtre où le gazon traverse un lit parsemé de pommes vertes et de feuilles gigantesques. Les plans cut up/collages au sens propre comme au figuré se laissent redécouvrir à chaque vision, tout comme l’inventivité de la bande sonore, ou la créativité du montage. Les Petites Margue

A la grâce de Jane (Birkin)

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Apparition fugace dans le Blow up d’Antonioni tourné en Angleterre, Jane Birkin entre dans le cinéma français à la toute fin des années 60. Son parcours mêle avec aisance comédies populaires et cinéma d’auteur. Egérie de Serge Gainsbourg, elle fut aussi la muse de Jacques Doillon et Jacques Rivette, mêlant humour et gravité dans ses plus beaux rôles. Faire le portrait de Jane Birkin est un exercice difficile que d’aucuns ont déjà réussi brillamment, qu’il s’agisse bien sûr d’Agnès Varda et de son beau film malicieux ( Jane B par Agnès V ) dans lequel la cinéaste émet une première définition de la chanteuse, comédienne et réalisatrice (« la rencontre sur une table de montage d’une Androgyne ludique et d’une Eve en pâte à modeler »), ou encore sur un mode taquin, le groupe français Mickey 3 D et sa chanson Je m’appelle Jane , interprétée en duo: aux questions volontairement clichés du chanteur Mickaël Furnon (« c’est quoi ce vieil accent que tu traînes? »), Jane y répond en vrac qu’elle

Bruno (Nuytten), la nuit...

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Parcours rêvé dans la nuit des films éclairés par Bruno Nuytten, des Valseuses de Bertrand Blier à Manon des Sources de Claude Berri en passant par Marguerite Duras, André Téchiné, Andrzej Zulawski et tant d’autres. C’est l’histoire d’un homme fasciné par la nuit et qui explore le ballet des lumières et des ombres à travers sa vie de cinéma. La nuit fait d’ailleurs partie de son nom, phonétiquement du moins, Nuytten, de son prénom Bruno. Fin des années 60, ce sont les années-formation à l’INSAS, l’école belge, et la rencontre importante avec Ghislain Cloquet, le directeur de la photo ( Tess , Peau d’âne , Mouchette , etc) dont il devient assistant, notamment sur Nathalie Granger de Marguerite Duras (1972). Le film symbolise peut-être la matrice d’une histoire de la vie travaillée de Bruno Nuytten, marquant la rencontre avec Gérard Depardieu et Marguerite Duras, fixant aussi sans doute l’envie définitive d’être directeur de la photographie. Très vite, Bruno Nuytten commence à fair

Alain Jessua : une réalité fantastique

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L’oeuvre méconnue d’Alain Jessua (dix films en soixante ans) a anticipé la réalité de nos sociétés modernes par le biais de discrets décalages fantastiques. A 19 ans, Alain Jessua débute dans le cinéma comme stagiaire sur le film Casque d’or de Jacques Becker avant de travailler plus tard comme assistant sur des films d’Yves Allégret ( Mam’zelle Nitouche , Oasis ) et sutout de Max Ophuls ( Madame de… , Lola Montès ), dont la direction d’acteurs le marque fortement. En 1986, dans un entretien à Positif , il racontera comment il a hérité de sa méthode de direction d’acteurs : « Max Ophuls donnait une priorité absolue à la sensibilité de ses interprètes, même s’il avait déjà une idée précise de son découpage avant de filmer. Ainsi Ophuls répétait toujours sa scène avec les comédiens et modifiait son tournage en fonction de son premier travail. » Alain Jessua , dont la formation cinématographique était, pendant ses dix ans d’assistanat, a priori plus technique, accordera toujours une gra

Jean-Pierre Kalfon, le fugueur

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Hédoniste rock, rebelle et dandy épris de liberté, Jean-Pierre Kalfon a bâti sa propre histoire du cinéma depuis plus de 50 ans. Une plongée en apnée cinéphile en dix films nous permet de (re)connaître ses jalons connus ou méconnus signés Lelouch, Rivette, Marc’O, Gary, Garrel, Schroeder, etc. A quinze ans, Jean-Pierre Kalfon a fugué. Il passa même la frontière, on le retrouva à Bruxelles. Il avait juste besoin d’air. Et cette échappée belle précoce, l’acteur n’a plus cessé de la décliner depuis, au théâtre, au cinéma ou en musique. Sa filmographie est celle d’un aventurier libre, faisant fi des chapelles et des frontières. Le premier vrai beau rôle, Kalfon l’obtient dans Une fille et des fusils (1964). Un Claude Lelouch débutant le fait chef d’une bande d’ouvriers automobiles qui décident de devenir gangsters. Il y révèle sa présence physique habillée de noir, longiligne et souple comme un félin, et sa voix rauque/rock si particulière. Une dégaine singulière que l’on retrouve en tran

Pierre Richard : un grand blond peut en cacher un autre

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Créateur d’un personnage lunaire et poétique, Pierre Richard a connu un succès populaire dans les années 1970-80, en signant des films critiquant la société de consommation encore naissante, tout en étant aussi très vite mis en scène par d’autres réalisateurs dans des comédies d’aventures - Yves Robert, Francis Veber, Claude Zidi, Gérard Oury, etc. Parallèlement, Pierre Richard a souvent pris des risques en incarnant des personnages plus inattendus dans des films d’auteurs surprenants. On a longtemps cru qu’il n’y avait qu’un seul Pierre Richard. Encore aujourd’hui, prononcer son nom engendre chez de nombreux spectateurs français, mais aussi étrangers (notamment en Russie), des souvenirs émus de comédies populaires où la figure excentrique et familière qu’il dessina de film en film, déclenche instantanément le rire. « Tu n’es pas un comédien, tu es un personnage. » Certaines phrases arrivent à point nommé au carrefour d’une vie. Celle-ci, prononcée un jour par Yves Robert, son parrai