"Les Petites Marguerites", ou l'esprit de l'enfance
Les Petites Marguerites, le film emblématique des sixties de la République Tchèque époque Printemps de Prague, deuxième long métrage de sa réalisatrice, Věra Chytilová n’a pas fini de livrer tous ses secrets tant il expérimente à chaque séquence. La narration tout d’abord, qui pourrait sembler désordonnée ou incohérente si elle n’était au contraire reliée par de nombreux fils et motifs visuels pour composer le quotidien de deux jeunes filles dont le mot d’ordre serait « dépravation ! » Les ruptures entre les plans sont sources de créativité, et rarement l’abstraction n’aura paru aussi concrète. Les décors, les lieux par exemple, qui paraissent aussi minimalistes que picturaux et stylisés comme cette chambre champêtre où le gazon traverse un lit parsemé de pommes vertes et de feuilles gigantesques. Les plans cut up/collages au sens propre comme au figuré se laissent redécouvrir à chaque vision, tout comme l’inventivité de la bande sonore, ou la créativité du montage. Les Petites Marguerites est un film de l’inattendu et de la surprise. C’est aussi une partie de cache cache permanente : sur le plan du récit avec les rencontres toujours amusantes des jeunes filles avec ces vieux hommes tournés en bourrique, ou lors de la séquence du théâtre (l’interaction ludique avec le show de charleston) mais aussi cache cache des deux héroïnes avec les cadres quasiment fixes du film, que leurs bonds incessants semblent vouloir faire éclater. La révolution se fait de l’intérieur semble nous dire en permanence le film.
Par son goût du burlesque et de la destruction, Les Petites Marguerites est un grand film sur l’esprit de l’enfance, une insouciance permanente rattrapée soudain par la mélancolie de celles qui se savent menacées par le temps (ah ma jeunesse, pourquoi t’échappes-tu si vite?). En ce sens, une séquence passionnante, à résonance fantastique, intervient aux trois quarts du film. Les jeunes femmes s’inquiètent qu’un jardinier qu’elles ont interpellé lors de leurs pérégrinations ne se soucie pas plus que cela d’elles, avant de se retrouver au milieu de plusieurs cyclistes passant à leurs côtés sans les voir. Formellement la séquence est passionnante, comme un montage dans le plan entre deux univers, des coureurs aux tenues sombres, auxquels se superposent les « marguerites » en vert.
Sur le fond, elles sont alors déjà en pleine prise de conscience d'un "devenir fantôme" où elles observeraient les autres mais ne seraient plus vues. Arrive alors dans le film cette peur de l'effacement et de l'invisibilisation de celles et ceux qui ne rentreraient pas là aussi dans le cadre et la norme. Poème fou, comédie révolutionnaire, Les Petites Marguerites est aussi un film travaillé par la crainte de l'éphémère.
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