Yves Montand : un acteur...qui nous ressemble
A l’occasion du centenaire de sa naissance, redécouverte de l’acteur-star Yves Montand, aux multiples facettes, aussi massif que fragile, à travers un parcours d’une vingtaine de longs métrages tournés entre 1946 et 1991.
« Il a tout pour plaire ce mec! » L’exclamation de la jeune Roxane (Mathilda May) brune en robe rose est triviale, mais elle a le mérite de nommer une fascination toujours à l’œuvre quand Yves Montand revient à Marseille, la ville où il a grandi. La scène arrive très vite au début de Trois places pour le 26 de Jacques Demy, dernier long métrage du cinéaste, fondé sur la trajectoire de la star.
Montand vient d’un pays qui n’existe plus, non pas son Italie natale, mais le music-hall, ce territoire où les hommes chantent, dansent et jouent, à savoir une certaine idée de l’artiste complet. Il incarne aussi le XXème siècle, appartenant à cette génération qui fêta ses dix-huit ans au déclenchement de la deuxième guerre mondiale, connut la guerre froide et son dégel, et la fin d’un siècle où les débats politiques et intellectuels furent des plus intenses.
« C’est marrant, c’est toujours triste les chansons d’amour !» : dans le Paris d’après-guerre, Diego/Montand fredonne au détour d’un plan Les Feuilles mortes : c’est donc bien le chanteur à succès du Théâtre de l’Etoile, adoubé par Edith Piaf, que Marcel Carné et Jacques Prévert sont venus chercher pour le premier rôle d’un film que devait interpréter Gabin. C’est un pari. Les débuts de l’acteur alors très jeune sont fragiles, on le sent encore hésitant et emprunté.
Un acteur ancré dans la mémoire collective
Même s’il continue de tourner des films, Yves Montand mettra vingt ans à se sentir à l’aise devant une caméra. C’est Compartiment tueurs (1965) le premier long métrage de Costa-Gavras qui va marquer véritablement le coup d’envoi de sa carrière cinématographique avec son interprétation de Grazziani, cet inspecteur au nez pris et à l’accent marseillais prononcé. Cet accent sera d’ailleurs l’une des caractéristiques de Montand, de cette jovialité, sourire et yeux plissés, à la limite du cabotinage (Le Diable par la queue) ou au contraire d’une grande justesse (un « Papet » que lui seul pouvait incarner dans Jean de Florette).
C’est en le repérant dans Compartiment tueurs qu’Alain Resnais l’impose comme l’interprète principal de La Guerre est finie (1966), film central de la trajectoire de Montand. Le basculement est ensuite complet : priorité sera donnée au cinéma. Le film symbolise aussi la rencontre avec Jorge Semprun, l’ami magnifique, qu’il incarne ici et qui sera aussi à l’origine d’un autre film et rôle importants : L’Aveu (1970) de Costa-Gavras. Dans ces deux films, et c’est d’une certaine manière assez rare dans le cinéma français, le corps même de Montand devient le véhicule du discours politique et de l’engagement de l’acteur : le corps passe-muraille d’un résistant anti-franquiste extrêmement mobile dans La Guerre est finie, et celui, très amaigri, qui va éprouver l’univers concentrationnaire et dénoncer le stalinisme dans L’Aveu.
Une décennie flamboyante
Pour Yves Montand, tout comme pour Michel Piccoli, dont, quasi contemporain, il croise plusieurs fois la route au cinéma, la décennie soixante-dix est flamboyante. Des rôles différents, très contrastés, proposés par de grands cinéastes. Jansen dans Le Cercle Rouge de Jean-Pierre Melville incarne ce grand écart tant le personnage étonne par sa capacité à trouver une forme d’assurance dans la fièvre hallucinatoire du delirium tremens. On retrouve alors de film en film ce grand corps au dos large, toujours incroyablement élégant : Montand avait gardé en mémoire les conseils de Piaf qui lui avait appris l’importance de l’habit de scène: pour lui, le personnage devait d’abord être cerné physiquement pour le rendre crédible psychologiquement. Les innombrables costumes cravate de Montand, les cols pelles à tarte de ses chemises blanches dépassant de pulls sombres en col v, ses trench coat, étaient quelques-unes de ses occurrences vestimentaires.
C’est au cours de ces années soixante-dix que s’affirme avec finesse le jeu d’Yves Montand. Rappeneau et de Broca travaillent bien sûr sa fantaisie et son rythme. César (prénom souvent adopté, hasard ou coïncidence, par les personnages incarnés par l’acteur) dans Le Diable par la queue et Martin dans Le Sauvage sont aussi vifs que légers, permettant à l’acteur de travailler son sens de la comédie passant aussi bien par le mouvement du corps, quasi chorégraphique parfois, que par la rapidité des dialogues. A l’inverse, le Montand grave et dominant, ce roc si physique se fragilise aussi de l’intérieur, exprimant les hantises des hommes mûrs de la génération des Trente Glorieuses. Chez Claude Sautet par exemple, le rôle de Vincent, en peine d’argent, largué par femme et maîtresse dans Vincent, François, Paul et les autres est totalement symptomatique de ce qui anime certaines des figures des films des années 70 qu’il interprètera. Dans une scène où sa femme Catherine lui signifiera la fin de leur couple, le visage de Vincent, animé d’une fébrilité presque impalpable exprime son effondrement intérieur. Du grand art.
Tu crois qu'on peut tuer le passé?
Avec un acteur aussi populaire que Montand, les souvenirs du public qui l’a accompagné au cinéma, ou lors des rediffusions de ses films à la télévision, se ramassent à la pelle. Pour les uns, ce sera Mario le routier du Salaire de la peur, pour d’autres ce sera Blaze dans La Folie des grandeurs, ou le César de César et Rosalie. Il a acquis avec les années la force d’un acteur définitivement ancré dans la mémoire collective.
« Tu crois qu’on peut tuer le passé »? Le regard interrogateur de Léon Marcel adressé au jeune Tony dans IP5, L’île aux pachydermes (1991) est implacable: dans ce film tout comme dans Trois places pour le 26 (1987), Yves Montand, qu’il soit lui-même, ou qu’il compose un vieil homme mystérieux aux pouvoirs surnaturels, se penche sur son passé. Il devient acteur-mémoire, construisant sa propre mythologie, égrenant vérités et légendes. Dans le film de Demy, le vrai Montand sexagénaire croise son jeune double de fiction dans des tableaux racontant les plus grandes aventures de sa vie : son passage à Broadway et Hollywood, sa rencontre avec Simone Signoret, (qui fête aussi son centenaire en 2021 !). Non, décidément, il n’est pas possible de tuer le passé. Avec le cinéma il renaît en permanence.
Bernard Payen
Texte écrit pour la Cinémathèque française en 2021
Commentaires
Enregistrer un commentaire