Jean-Pierre Kalfon, le fugueur

Hédoniste rock, rebelle et dandy épris de liberté, Jean-Pierre Kalfon a bâti sa propre histoire du cinéma depuis plus de 50 ans. Une plongée en apnée cinéphile en dix films nous permet de (re)connaître ses jalons connus ou méconnus signés Lelouch, Rivette, Marc’O, Gary, Garrel, Schroeder, etc.



A quinze ans, Jean-Pierre Kalfon a fugué. Il passa même la frontière, on le retrouva à Bruxelles. Il avait juste besoin d’air. Et cette échappée belle précoce, l’acteur n’a plus cessé de la décliner depuis, au théâtre, au cinéma ou en musique. Sa filmographie est celle d’un aventurier libre, faisant fi des chapelles et des frontières. Le premier vrai beau rôle, Kalfon l’obtient dans Une fille et des fusils (1964). Un Claude Lelouch débutant le fait chef d’une bande d’ouvriers automobiles qui décident de devenir gangsters. Il y révèle sa présence physique habillée de noir, longiligne et souple comme un félin, et sa voix rauque/rock si particulière. Une dégaine singulière que l’on retrouve en transe dans Les Idoles, satire au vitriole du milieu du showbiz de Marc’O, spectacle devenu film sorti dans les salles en mai 68. Aux côtés de ses amis Bulle Ogier, Pierre Clémenti, Valérie Lagrange, Jean-Pierre Kalfon, est une idole blonde platine, au déhanchement tourbillonnant. Encore aujourd’hui, le film garde sa mythologie, tout comme La Vallée de Barbet Schroder (1972), périple d’un groupe entourant une épouse de Consul de France dans la jungle de la Nouvelle Guinée. Un Kalfon dandy cheveux longs taille la route chez les Papous. 

Les Idoles lui auront ouvert les portes des cinéastes de la Nouvelle Vague. Et voilà notre homme metteur en scène d’Andromaque dans L’Amour fou (1969) dont le couple en crise avec son interprète d’Hermione et compagne (incarnée par Bulle Ogier une fois de plus!) est autopsié par Jacques Rivette dans son troisième long métrage. Kalfon avait déjà tourné avec Godard (Weekend, 1967), il tournera plus tard avec Truffaut (Vivement dimanche!, 1982) et Chabrol (Le Cri du Hibou, 1987). Prêtre (Les uns et les autres de Lelouch, 1981) ou voyou (pour d’innombrables films), gourou (Paul de Diourka Medveczky, 1969) ou homme de main louche (Une étrange affaire, Pierre Granier-Deferre, 1981), errant subrepticement dans plusieurs films de Philippe Garrel, chauffeur armé pour Romain Gary (Les Oiseaux vont mourir au Pérou, 1967), Jean-Pierre Kalfon a su montrer à travers ses rôles au fil des ans comment faire peur ou inquiéter pouvait aussi créer de l’attachement, ne serait-ce qu’à travers sa voix qui gronde et caresse dans le même élan. 

Vagabonde et altière, sa filmographie étonnante, trace une route entre curiosités cinéphiles, contre-culture affirmée et cinéma populaire. Curieux de tout, il va de l’avant encore et plus que tout aujourd’hui, notamment chez de jeunes cinéastes. C’est ainsi qu’on le retrouve en Louis XIV vieillissant dans Saint-Cyr de Patricia Mazuy (2000), grand patron (La Question humaine, 2006), travesti résidant dans un hôtel au coeur du film de Mikhaël Hers, Ce sentiment de l’été (2015) ou patient confronté à un étrange scanner dans Panthéon Discount (2016) de Stephan Castang. Un art de l’éclectisme, un art maîtrisé de la fugue, encore et toujours.


Bernard Payen

Texte écrit pour la Cinémathèque française en 2019

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